Derniers remparts
JEANNE-F. COLONNA
Les lieutenants-colonels René Mercury et Philippe Fassy, son prédécesseur, derniers occupants de la citadelle.
L’armée prépare le déménagement
à venir de la citadelle . Dans leurs cartons, les lieutenants-colonels
Philippe Fassy et René Mercury, ultimes occupants des lieux, emportent
une histoire riche
La citadelle d’Ajaccio est l’ancêtre des casernes. Au XVIII e siècle,
c’est l’un des premiers bâtiments à avoir été utilisé pour loger les
militaires. Avant cela, ils dormaient chez l’habitant."
Lieutenant-colonel, Philippe Fassy a été le commandant de la citadelle
d'Ajaccio durant cinq années, de 2014 à 2019. Il connaît parfaitement
les lieux, leur histoire aussi.
C’est sans doute pour cette raison que
la municipalité a choisi ce militaire à la retraite pour gérer la
citadelle après l’avoir acquise officiellement cet été.Depuis qu’il a quitté ses fonctions, au mois de septembre, Philippe
Fassy a été remplacé par un nouveau délégué militaire départemental
adjoint (DMDA). Le lieutenant-colonel René Mercury, originaire de
Letia, Là-bas, ils pourront continuer à s’entraîner.
"Par exemple, la rupture du barrage de Tolla a déjà été l’un des thèmes de nos exercices", livre Philippe Fassy.est revenu dans son île natale pour assurer ces fonctions depuis
la base d’Aspretto.
À ce jour, René Mercury occupe toujours la citadelle. "Pour
l’heure, les bureaux que nous allons intégrer sont encore en travaux.
C’est pour cette raison que nous sommes toujours au sein de la
citadelle. Nous sommes donc en charge du déménagement", explique René Mercury. Pour cela, il mobilise de nombreux effectifs.
Un déménagement d’ici la fin de l’année
"J’ai contacté la vingtaine de réservistes de l’armée de
terre, qui vient régulièrement ici, notamment pour des entraînements.
J’ai également demandé du soutien au 2 e Rep ou encore à la marine nationale",
détaille-t-il. D’après son décompte, ils seront une quarantaine pour
procéder au déménagement qui pourrait s’effectuer d’ici la fin de
l’année. "Nous avons mobilisé toutes ces
personnes qui, comme moi, feront notamment des tâches élémentaires
comme passer le balai, nettoyer les cours. Il n’est pas question que
l’on laisse la citadelle en mauvais état", assure-t-il.
Pourtant, lors des visites ouvertes au public organisées par la
municipalité, les Ajacciens ont regretté l’état de vétusté, de
délabrement, des lieux. Les deux lieutenants-colonels tentent
d’expliquer cet état de fait.
"Depuis 2008, seulement trois agents travaillent au sein
de la citadelle. Personne n’est logé ici. Les militaires présents
travaillent afin de se préparer à une éventuelle réquisition de la
préfète en cas de grosse catastrophe. Il faut dire que depuis cette
date, le ministère n’a pas véritablement eu les moyens d’entretenir la
citadelle. Lorsqu’il n’y a plus personne, il est difficile d’obtenir
des budgets dédiés à l’entretien", développent les deux hommes.
Lorsqu’ils remontent le temps, ils se souviennent de la politique déflationniste de Nicolas Sarkozy. "À
la fin des années 2000, de nombreux régiments ont été dissous. Les
effectifs ont été réduits car il y avait une forme de paix mondiale.
Tout cela a été remis en question au moment des attentats en 2015",
souligne Philippe Fassy. Sous son ère, l’emprise a alors été le terrain
de jeu des forces spéciales insulaires. Un noble rôle qui peut, en
partie, expliquer l’état de certains bâtiments.
"Peu de temps après mon arrivée, j’ai été contacté par des
services spécialisés de la gendarmerie, par la brigade de recherche et
d’intervention de la police judiciaire ou encore par la police aux
frontières. Ils avaient besoin d’un site vide, protégé, où ils
pourraient s’entraîner en toute sécurité et surtout en toute discrétion", explique le jeune retraité qui voit cette mise à disposition comme d’utilité publique.
À la désertification militaire des lieux s’ajoutent des négociations à n’en plus finir au sujet du rachat de la citadelle. "Les
discussions ont duré plus de dix ans. Dès que je suis arrivé, j’ai été
en contact avec tous ceux qui s’occupent encore de ce projet
aujourd’hui. Nous avons organisé un nombre incalculable de visites", témoigne celui qui connaît sans doute le mieux la citadelle. "Je connais chaque recoin de chaque bâtiment", se plaît-il à dire.
C’est
effectivement rare chez ses contemporains. Même s’il reconnaît que
certaines personnes travaillant sur le sujet sont quasiment à son
niveau. Philippe Fassy livre une autre anecdote : "Les premières velléités d’acquisition remontent à l’année 1975. J’ai retrouvé des documents en ce sens."
"Il y a eu jusqu’à 800 personnes"
La citadelle, si majestueuse de l’extérieur, offre un tout autre visage
dès lors que l’on franchit la grille de l’entrée. Terne, sans éclat, le
lieu est en accord avec la saison. René Mercury l’a connu du temps de
sa splendeur. "Lorsque j’étais instructeur
commando, je suis venu ici. C’était dans les années 1990, pour des
missions de renfort. Il y avait beaucoup de monde à cette époque. La
citadelle vivait", se souvient le militaire. "Il y a eu jusqu’à 800 personnes ici, plus de 1 000 au début de la première guerre mondiale", ajoute Fassy.
D’ici
quelques années, peut-être, on évoquera ces mêmes chiffres. En
attendant, après le départ des militaires, Philippe Fassy va réintégrer
ce lieu mythique. "Je vais travailler là.
Tout d’abord car il n’est pas question de laisser la citadelle sans
personne. C’est surtout pour des questions de sécurité. Il y a
énormément d’endroits dangereux, surtout quand on ne connaît pas les
lieux", prévient-il.
Les premiers travaux de mise en sécurité devraient être réalisés dans le courant de l’année 2020. "Dès que tout cela sera terminé, la mairie entend créer un parcours ouvert au public afin d’organiser des visites libres", dévoile-t-il.
Mais au-delà du ravalement de façade, la transformation de la citadelle
durera plusieurs années. Et si les projets proposés par les riverains
n’ont pas encore été arrêtés, actés, un lieu de mémoire restera intact
: la cellule de Fred Scamaroni, qui s’y suicida le 19 mars 1943, pour
ne rien livrer aux Italiens.
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